THESAURUS - L'objectif, hormis les articles d'images et de sons glanés ou perso, est de constituer une base de données subjective autodidactique et transversale d'extraits de textes littéraires, poétiques.
Entendons-nous bien, je ne suis pas d'accord avec toutes les idées développées dans les textes, mais c'est leur choix et leur juxtaposition ici qui me semble aborder/contourner/recouvrir/dessiner plusieurs sujets qui m’intéressent.

Cette partie s'aborde en navigant par MOT-CLE ou AUTEUR

Soyez indulgents, le blog est tout neuf, j'ai encore pas mal d'archives de base à numériser et/ou transférer, en plus des nouvelles trouvailles.
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24/08/2012

Theodore STURGEON - Les plus qu'humains - 001

Auteur : Theodore STURGEON

Titre original : More than Human.
Titre Francais : Les plus qu'humains.

ISBN : 2-290-31124-5
J'ai lu, Juillet 1977 - traduction : Michel Chrestien
Page 105 à 109.

Stern ouvrit un tiroir, prit une pipe noircie, la renifla, la retourna, toujours en me regardant.
— La psychanalyse, dit-il, attaque l'oignon du moi dont elle enlève les couches une à une, jusqu'à ce qu'elle atteigne à ce petit éclat du moi immaculé. Cela vous plaît-il ? Ou préférez-vous celle-ci : le psychanalyste enfonce la foreuse comme on le fait pour le pétrole. Il traverse le roc et la boue. Jusqu'au moment où il pénètre la couche convenable. Ou cette formule encore : la psychanalyse jette une poignée de motifs sexuels sur votre vie ; ils rebondissent sur les épisodes. Encore ?
J'éclatai de rire.
— Cette dernière était vraiment bonne.
— Elle était vraiment mauvaise. Elles sont toutes mauvaises, d'ailleurs. Toutes, elles veulent simplifier quelque chose de complexe, par nature. Non. Je ne vous donnerai qu'une seule formule : Personne ne sait de quoi vous souffrez, si ce n'est vous-même. Personne d'autre que vous ne peut trouver remède à votre mal. Personne, en dehors de vous, ne peut se rendre compte si le remède agit.


— Alors, pourquoi êtes-vous là ?
— Pour vous écouter.
— Je n'ai pas besoin de payer quelqu'un simplement pour m'écouter.
— Sûrement. Mais vous êtes convaincu que j'écoute de façon sélective, comme on dit.
— Vraiment, vous croyez ?... Ma foi, oui ! je crois. Et vous, en êtes-vous convaincu ?
— Non. De toute manière, vous ne le croirez jamais.
J'éclatai de rire. Il me demanda pourquoi. Je le lui dis :
— C'est parce que vous ne m'appelez plus fiston.
— Non. Pas vous... Je pourrais dire aux gens : « Qu'est-ce que vous voulez savoir sur votre compte et qui vous inquiète ? »
— Je voudrais découvrir pourquoi j'ai tué quelqu'un, lui dis-je, tout à trac.
Mais cela ne parut pas l'émouvoir.
— Etendez-vous, me dit-il.
— Sur ce canapé ?
— Oui.
— J'ai l'impression d'être un héros de bande dessinée, lui fis-je remarquer en regardant le plafond qui était gris clair.
— Et quelle est la légende ?
— J'en ai des malles pleines à la maison. C'est le titre, ça.
— Extrêmement intéressant, dit Stern, tranquillement.
J'avais beau le guetter de près, il ne bougeait pas. Je savais que c'était le genre de gars qui rit dans les profondeurs, quand il lui arrive de rire.
— Je pense que je mettrai votre réponse dans un livre, un jour... Et qu'est-ce qui peut bien vous pousser à dire ça ?... (Comme je ne lui répondais pas, il reprit :) Assez de questions, fiston. Je crois que je peux vous être utile.
Je serrai les dents si fort que j'en eus mal aux molaires. Puis je me décontractai.
— Je vous demande pardon, je regrette...
Mais il ne dit rien. De nouveau, j'eus l'impression qu'il riait sous cape. Mais il ne se moquait pas de moi.
— Quel âge avez-vous ? me demanda-t-il soudain.
— Euhhh, quinze ans.
— Euhhh, quinze ans, répéta-t-il. Et que signifie euhhh ?
— Rien du tout. J'ai quinze ans.
— Quand je vous ai demandé votre âge, vous avez hésité parce qu'un autre chiffre s'est présenté à votre esprit. Vous avez écarté l'autre chiffre pour me répondre.
— Allons donc, puisque je vous dis que j'ai quinze ans.
— Non, je ne dis pas que vous n'ayez pas quinze ans. (Il parlait avec beaucoup de patience :) Mais quel était l'autre chiffre ?
Je me fâchai de nouveau.
— Il n'y en avait pas d'autre. Qu'est-ce que vous avez à écouter tout ce que je dis et à interpréter pour faire que ça ressemble à ce que vous en pensez ?
Il ne répondit rien.
— J'ai quinze ans, répétai-je avec entêtement. (Et j'ajoutai :) Ça ne me plaît pas, et vous le savez très bien.
Il attendait toujours.
— Le chiffre, c'était huit.
— Bon, alors, vous avez huit ans. Et votre nom ?
— Gerry. (Je me redressai sur un coude et me tordis le cou pour le voir derrière moi ; il avait dévissé le tuyau de sa pipe et s'en servait pour viser la lampe de bureau à travers.) Oui ! Gerry sans euhhh !
— Bon !
Je me recouchai, fermai les yeux. « Huit, pensai-je, huit. »
— Il fait froid chez vous, dis-je.
Huit ! cuite ! fuite !... Non ! décidément. Il valait mieux ne pas y repenser. Je rouvris les yeux : le plafond était toujours gris clair. Tout allait bien. Stern se trouvait quelque part derrière moi avec sa pipe. Et il était très bien aussi. J'aspirai très lentement, une fois, deux fois, trois fois. Refermai les yeux. Huit ! cuite ! fuite ! nuit ! Rien. Ancien.
Bois. Froid. Et zut à la fin ! Je remuais, je frétillais, je m'agitais sur le divan, essayant de ne plus avoir froid. Huit. Cuite. Fuite.... Je grognais. Je tentais de couvrir de noir uni ces rimes stupides, ces huit et tout ce que cela signifiait. Mais le noir ne restait pas noir. Il fallait placer quelque chose là. Si bien que je me dessinai sur le regard un gigantesque 8 lumineux pour ne pas voir autre chose. Mais le chiffre se mit à basculer sur ses boucles comme un instantané à travers une longue-vue. Et j'étais forcé de regarder, que ça me plaise ou non.
Tout à coup, j'en eus assez et je ne résistai plus. La jumelle se rapprocha, se rapprocha. Et c'était moi.

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