THESAURUS - L'objectif, hormis les articles d'images et de sons glanés ou perso, est de constituer une base de données subjective autodidactique et transversale d'extraits de textes littéraires, poétiques.
Entendons-nous bien, je ne suis pas d'accord avec toutes les idées développées dans les textes, mais c'est leur choix et leur juxtaposition ici qui me semble aborder/contourner/recouvrir/dessiner plusieurs sujets qui m’intéressent.

Cette partie s'aborde en navigant par MOT-CLE ou AUTEUR

Soyez indulgents, le blog est tout neuf, j'ai encore pas mal d'archives de base à numériser et/ou transférer, en plus des nouvelles trouvailles.
N'hésitez pas à laisser des commentaires...


31/08/2012

Neil GAIMAN - American Gods - 002

Auteur : Neil GAIMAN

Titre original : American Gods.
Titre Francais : American Gods.

ISBN : 2-290-33041-8
J'ai lu, Août 2004 - traduction : Michel Chrestien
Page 524 et 529.


Ayant achevé sa cannette, il rota et alla s'en chercher une autre, tandis qu'Ombre ouvrait la sienne. Tous deux s'assirent sur un rocher, près de fougères vert pâle, dans la lumière matinale, et ils sirotèrent leur bière en regardant la cascade. Des plaques de neige subsistaient aux endroits que le soleil n'atteignait jamais.
La terre était boueuse, détrempée.
« Harry était diabétique, reprit Whiskey Jack. C'est des choses qui arrivent. Trop. Vous, vous venez en Amérique, vous nous prenez notre canne à sucre, nos pommes de terre et notre maïs; ensuite vous nous vendez des chips, du pop-corn au caramel, et c'est nous qui tombons malades. » Il but une gorgée, pensif. « Il avait gagné un ou deux prix pour ses poèmes. Des types du Minnesota voulaient même en faire un livre. Alors, il est parti les voir dans sa voiture de sport. Il avait échangé ton'Bago contre une Miata jaune. Les docteurs ont dit qu'il avait dû tomber dans le coma en conduisant, quitter la route et percuter un de vos panneaux de signalisation. Comme vous êtes trop paresseux pour regarder où vous êtes, pour lire la montagne et les nuages, vous avez besoin de panneaux partout, vous autres. Donc, Harry Bluejay est parti à jamais habiter avec frère Loup. Moi, plus rien ne me retenait là-bas : je suis allé vers le nord. Ça regorge de poisson, dans les environs.

— Désolé pour ton neveu.
— Moi aussi. Bref, ça fait que maintenant, je vis ici. Loin des maladies de l'homme blanc. Des routes de l'homme blanc. Des panneaux de l'homme blanc. Des Miata jaunes de l'homme blanc. Du pop-corn au caramel de l'homme blanc.
— De la bière de l'homme blanc?» Whiskey Jack regarda la cannette.
« Quand vous abandonnerez enfin la lutte et rentrerez chez vous, vous pourrez nous laisser les brasseries Budweiser, dit-il.
— Où sommes-nous? demanda Ombre. Est-ce que je suis sur l'arbre? Est-ce que je suis mort? Est-ce que je suis ici? Je croyais que tout était fini. Quelle est la réalité?
— Oui.
— Quoi,"oui"? C'est pas une réponse,"oui".
— C'est une très bonne réponse. Et en plus, elle est vraie.
— Est-ce que tu es un dieu, toi aussi? L'Indien secoua la tête.
—Je suis un héros culturel. On a en gros le même emploi que les dieux, mais on fait plus de conneries et personne ne nous révère. Les gens racontent des histoires sur nous, mais aussi bien celles où on passe pour des cons que celles où on brille.
—Je vois », dit Ombre.
Et c'était vrai. Plus ou moins.
«Écoute, ce n'est pas un bon pays pour les dieux, reprit Whiskey Jack. Mon peuple l'a compris depuis longtemps. Il y a des esprits créateurs qui ont trouvé la Terre, ou qui l'ont créée, ou qui l'ont chiée, mais réfléchis un peu : qui révérerait Coyote? Il a sauté la Femme Porc-Epic et il s'est retrouvé la bite déguisée en pelote d'épingles. Quand il s'engueule avec les rochers, c'est les rochers qui gagnent.
«Alors, oui, mon peuple pense que peut-être, il y a quelque chose derrière tout ça, un créateur, un grand esprit : on lui dit merci, parce que c'est toujours une bonne chose à dire. Mais on n'a jamais construit d'églises. On n'en avait pas besoin. Notre église, c'était le pays. Notre religion, c'était le pays. Le pays était plus vieux et plus sage que le peuple qui l'habitait. Il nous donnait du saumon, du maïs, du bison et du pigeon migrateur. Il nous donnait du riz sauvage et des vairons. Il nous donnait des melons, des courges et des dindes. Nous étions ses enfants, tout comme le porc-épic, le putois et le geai. » Il acheva sa deuxième bière et désigna le cours d'eau né de la cascade. «Tu suis la rivière un moment et tu arrives aux lacs où pousse le riz sauvage. À la bonne époque, tu pars en canoë avec un copain, tu bats le riz, tu le fais cuire, tu l'entreposes, et il te permet de vivre un bon moment. Ailleurs, il pousse d'autres choses. Au sud, tu trouves des oranges, des citrons, et puis ces petits machins verts, là, qui ressemblent à des poires...
— Les avocats ?
— Les avocats, c'est ça. Ici, il n'en pousse pas. C'est un coin à riz sauvage. À élans. Ce que j'essaie de dire, c'est que toute l'Amérique est comme ça. Ce n'est pas un bon pays pour les dieux. Ils y poussent mal. Ils sont comme des avocats qui essaieraient de pousser dans une terre à riz sauvage. |
— Ils ne poussent peut-être pas bien, mais ils partent en guerre », objecta Ombre à qui les souvenirs revenaient.
Ce fut la seule fois qu'il entendit le rire de Whiskey Jack, presque un aboiement, dépourvu d'humour.
« Hé, si tous tes copains se foutaient à l'eau, t'en ferais autant?
— Peut-être. »
Ombre se sentait bien et ne pensait pas que ce fût juste l'effet de la bière. Il ne se rappelait pas s'être jamais senti aussi vivant, aussi en accord avec lui-même.
« Ça ne va pas être une guerre.
— Quoi, alors?»
L'Indien écrasa sa cannette entre ses mains jusqu'à l'aplatir.
« Regarde », dit-il en désignant la cascade. Le soleil était assez haut pour mettre en relief les embruns: un nuage arc-en-ciel en suspension. Ombre songea qu'il n'avait jamais rien vu de plus beau. « Ça va être un bain de sang », acheva Whiskey Jack d'une voix plate.
Ombre, alors, vit. Il vit l'ensemble du tableau et le découvrit d'une effrayante simplicité. Secouant la tête, il pouffa puis se mit à rire à gorge déployée.
« Ça va ?
—Très bien. C'est juste que j'ai vu les Indiens cachés. Pas tous, mais je les ai vus.
— Sûrement les Ho Chunk. Ces gars-là n'ont jamais su se planquer. » Whiskey Jack leva les yeux vers le soleil. « Il est temps de rentrer, ajouta-t-il en se levant.
— C'est une arnaque à quatre mains, dit Ombre. Rien à voir avec une guerre, hein ? »
Son compagnon lui tapota le bras.
«Tu n'es pas si bête que ça », remarqua-t-il.
L'Indien retourna à sa cabane dont il ouvrit la porte. Ombre hésita.
«J'aimerais bien rester avec toi, dit-il. Ça m'a l'air d'être un bon endroit.
—Il y a un tas de bons endroits. C'est d'ailleurs un peu le problème. Écoute : les dieux meurent quand ils sont oubliés. Les gens meurent aussi. Mais le pays reste. Les bons endroits et les mauvais. Le pays ne bouge jamais. Pas plus que moi. »
Ombre referma la porte. Quelque chose l'aspirait. Il était à nouveau seul dans l'obscurité, mais une obscurité qui se fit de plus en plus claire, jusqu'à brûler comme le soleil.
Puis la douleur arriva.

Des fleurs printanières naissaient sous les pas d'Easter.
La déesse dépassa les ruines d'une vieille ferme. Aujourd'hui encore, quelques murs restaient debout, jaillissant des hautes herbes telles des dents cariées. Une pluie fine tombait de bas et sombres nuages. Il faisait froid.
À quelque distance de la ferme démolie poussait un arbre, un gigantesque frêne argenté qu'on pouvait croire dénudé par l'hiver. Dans l'herbe, à son pied, gisaient de petits tas d'étoffe déchirée. Easterse pencha pour ramasser un objet blanchâtre : un fragment d'os rongé, naguère portion d'un crâne humain. Elle le rejeta à terre.
Puis elle considéra le supplicié avec un sourire malicieux.
« Il ne sont pas aussi intéressants une fois nus, constata-t-elle. La moitié du plaisir, c'est de les déballer, comme avec les cadeaux et les œufs. »
L'homme à tête de faucon qui marchait près d'elle baissa les yeux sur son pénis et sembla prendre conscience de sa nudité.
«Je peux regarder le soleil en face sans ciller, dit-il. — C'est très fort, lui assura Easter. Bon, descendons-le de là. »
Les cordes humides qui retenaient Ombre, depuis longtemps pourries, se rompirent sans mal sous les tractions des deux arrivants. Le supplicié allait glisser mais, l'ayant rattrapé et le portant aisément en dépit de sa masse, ils le déposèrent dans l'herbe grise.
Glacé, il ne respirait pas. La tache de sang séché qui maculait son flanc évoquait la trace d'un coup de lance.
«Et maintenant?
— Maintenant, on le réchauffe, dit Easter. Tu sais ce que tu as à faire.
— Oui. Je ne peux pas.
—Si tu ne voulais pas me donner un coup de main, il ne fallait pas m'appeler. »
Elle tendit une main blanche vers Horus, caressa ses cheveux noirs. Lui la regarda avec intensité, en clignant des yeux. Puis il devint flou, comme s'il s'était trouvé au milieu d'une brume de chaleur.
L'œil du faucon qui faisait face à la déesse étincelait d'une lueur orangée. On eût dit qu'une flamme s'y était allumée ; une flamme demeurée bien longtemps éteinte.
L'oiseau prit son envol, décrivant une spirale, contournant le nuage gris derrière lequel devait se trouver le soleil. À mesure qu'il grimpait, il devint tache, puis simple point, puis il ne fut plus possible que de l'imaginer. Les nuages commencèrent à mincir, à s'évaporer. Un unique rayon de soleil les pénétra, baignant le pré d'une magnifique lueur, mais l'image ne tarda pas à se modifier quand ils disparurent tout à fait. Bientôt, l'astre du matin brilla tel un soleil estival de midi, changeant la rosée en brume, la brume en néant.
— Je suis un héros culturel. On a en gros le même emploi que les dieux, mais on fait plus de conneries et personne ne nous révère. Les gens racontent des histoires sur nous, mais aussi bien celles où on passe pour des con* que celles où on brille.
—Je vois », dit Ombre.
Et c'était vrai. Plus ou moins.
« Écoute, ce n'est pas un bon pays pour les dieux, reprit Whiskey Jack. Mon peuple l'a compris depuis longtemps. Il y a des esprits créateurs qui ont trouvé la Terre, ou qui l'ont créée, ou qui l'ont chiée, mais réfléchis un peu : qui révé^ rerait Coyote? Il a sauté la Femme Porc-Epic et il s'est retrouvé la bite déguisée en pelote d'épingles. Quand il s'engueule avec les rochers, c'est les rochers qui gagnent.
«Alors, oui, mon peuple pense que peut-être, il y a quelque chose derrière tout ça, un créateur, un grand esprit : on lui dit merci, parce que c'est toujours une bonne chose à dire. Mais on n'a jamais construit d'églises. On n'en avai pas besoin. Notre église, c'était le pays. Notre religion, c'ét le pays. Le pays était plus vieux et plus sage que le peupla qui l'habitait. Il nous donnait du saumon, du maïs, du bisoiï et du pigeon migrateur. Il nous donnait du riz sauvage e(j des vairons. Il nous donnait des melons, des courges et d dindes. Nous étions ses enfants, tout comme le porc-épi le putois et le geai. » Il acheva sa deuxième bière et désigna le cours d'eau né de la cascade. «Tu suis la rivière u~ moment et tu arrives aux lacs où pousse le riz sauvage. À1 bonne époque, tu pars en canoë avec un copain, tu bats 1 riz, tu le fais cuire, tu l'entreposes, et il te permet de vivre u bon moment. Ailleurs, il pousse d'autres choses. Au sud, t trouves des oranges, des citrons, et puis ces petits machi verts, là, qui ressemblent à des poires...
— Les avocats?
— Les avocats, c'est ça. Ici, il n'en pousse pas. C'est un coin à riz sauvage. À élans. Ce que j'essaie de dire, c'est que toute l'Amérique est comme ça. Ce n'est pas un bon pays pour les dieux. Ils y poussent mal. Ils sont comme des avocats qui essaieraient de pousser dans une terre à riz sauvage.
— Ils ne poussent peut-être pas bien, mais ils partent en guerre », objecta Ombre à qui les souvenirs revenaient.
Ce fut la seule fois qu'il entendit le rire de Whiskey Jack, presque un aboiement, dépourvu d'humour.
« Hé, si tous tes copains se foutaient à l'eau, t'en ferais autant?
— Peut-être. »
Ombre se sentait bien et ne pensait pas que ce fût juste l'effet de la bière. Il ne se rappelait pas s'être jamais senti aussi vivant, aussi en accord avec lui-même.
« Ça ne va pas être une guerre.
— Quoi, alors?»
L'Indien écrasa sa cannette entre ses mains jusqu'à l'aplatir.
« Regarde », dit-il en désignant la cascade. Le soleil était assez haut pour mettre en relief les embruns : un nuage arc-en-ciel en suspension. Ombre songea qu'il n'avait jamais rien vu de plus beau. « Ça va être un bain de sang », acheva Whiskey Jack d'une voix plate.
Ombre, alors, vit. Il vit l'ensemble du tableau et le découvrit d'une effrayante simplicité. Secouant la tête, il pouffa puis se mit à rire à gorge déployée.
« Ça va ?
—Très bien. C'est juste que j'ai vu les Indiens cachés. Pas tous, mais je les ai vus.
—Sûrement les Ho Chunk. Ces gars-là n'ont jamais su se planquer. » Whiskey Jack leva les yeux vers le soleil. « Il est temps de rentrer, ajouta-t-il en se levant.
— C'est une arnaque à quatre mains, dit Ombre. Rien à voir avec une guerre, hein ? »
Son compagnon lui tapota le bras.
«Tu n'es pas si bête que ça », remarqua-t-il.
L'Indien retourna à sa cabane dont il ouvrit la porte.
Ombre hésita.
«J'aimerais bien rester avec toi, dit-il. Ça m'a l'air d'être
un bon endroit.
— Il y a un tas de bons endroits. C'est d'ailleurs un peu le problème. Écoute : les dieux meurent quand ils sont
oubliés. Les gens meurent aussi. Mais le pays reste. Lel bons endroits et les mauvais. Le pays ne bouge jamais. Pajj: plus que moi. »
Ombre referma la porte. Quelque chose l'aspirait. Il était à nouveau seul dans l'obscurité, mais une obscurité qui se fit de plus en plus claire, jusqu'à brûler comme le soleil.
Puis la douleur arriva.

Des fleurs printanières naissaient sous les pas d'Easter.
La déesse dépassa les ruines d'une vieille ferme. Aujourd'hui encore, quelques murs restaient debout, jaillissant des hautes herbes telles des dents cariées. Une pluie fine tombait de bas et sombres nuages. Il faisait froid.
À quelque distance de la ferme démolie poussait un arbre, un gigantesque frêne argenté qu'on pouvait croire dénudé par l'hiver. Dans l'herbe, à son pied, gisaient de petits tas d'étoffe déchirée. Easter se pencha pour ramasser un objet blanchâtre : un fragment d'os rongé, naguère portion d'un crâne humain. Elle le rejeta à terre.
Puis elle considéra le supplicié avec un sourire malicieux.
« Il ne sont pas aussi intéressants une fois nus, constata-t-elle. La moitié du plaisir, c'est de les déballer, comme avec les cadeaux et les œufs. »
L'homme à tête de faucon qui marchait près d'elle baissa les yeux sur son pénis et sembla prendre conscience de sa nudité.
«Je peux regarder le soleil en face sans ciller, dit-il. — C'est très fort, lui assura Easter. Bon, descendons-le de là. »
Les cordes humides qui retenaient Ombre, depuis longtemps pourries, se rompirent sans mal sous les tractions des deux arrivants. Le supplicié allait glisser mais, l'ayant rattrapé et le portant aisément en dépit de sa masse, ils le déposèrent dans l'herbe grise.
Glacé, il ne respirait pas. La tache de sang séché qui maculait son flanc évoquait la trace d'un coup de lance.
« Et maintenant?
— Maintenant, on le réchauffe, dit Easter. Tu sais ce que tu as à faire. —Oui. Je ne peux pas.
—Si tu ne voulais pas me donner un coup de main, il ne fallait pas m'appeler. »
Elle tendit une main blanche vers Horus, caressa ses cheveux noirs. Lui la regarda avec intensité, en clignant des yeux. Puis il devint flou, comme s'il s'était trouvé au milieu d'une brume de chaleur.
L'œil du faucon qui faisait face à la déesse étincelait d'une lueur orangée. On eût dit qu'une flamme s'y était allumée;une flamme demeurée bien longtemps éteinte.
L'oiseau prit son envol, décrivant une spirale, contournant le nuage gris derrière lequel devait se trouver le soleil. À mesure qu'il grimpait, il devint tache, puis simple point, puis il ne fut plus possible que de l'imaginer. Les nuages commencèrent à mincir, à s'évaporer. Un unique rayon de soleil les pénétra, baignant le pré d'une magnifique lueur, mais l'image ne tarda pas à se modifier quand ils disparurent tout à fait. Bientôt, l'astre du matin brilla tel un soleil estival de midi, changeant la rosée en brume, la brume en néant.

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